3.2.11

Béatrice et Virgile de Yann Martel

Décrire l'indicible n'est jamais facile. Cette réalité, Yann Martel l'a expérimentée dans son dernier roman, Béatrice et Virgile. Une fable tragi-comique sur l'Holocauste.

Le livre se découpe en deux sections: un essai suivi d’une fable. La première partie se rapproche de l’autobiographie. Henry, écrivain, explique la nuance entre le roman et l’essai, et parle des blocages en écriture, de la patience que nécessite le chemin vers l’édition, etc. Plus intéressant encore, l’essai pose une question fondamentale : peut-on tout mettre en fiction?

Même si l’essai traduit un certain inconfort, Yann Martel démontre un courage en abordant sa démarche. Le lecteur sent que l’auteur, tout comme Henry, l’écrivain dans le livre, s’est placé entre deux chaises (la fiction et la réalité) et qu’il n’est pas tout à fait convaincu du succès qu’aura son entreprise. La Shoah est une des pires tragédies de l’humanité. Entre 5 et 6 millions de Juifs ont été exterminés et peu ont été capables d’en parler lorsque le régime d’Hitler est tombé. Nous voilà 60-65 ans après ces horreurs, pouvons-nous en rire, ou, à la rigueur, en parler autrement?

Dans la seconde partie du livre, une ânesse, Béatrice, et un singe, Virgile, se distinguent comme protagonistes. Leurs noms proviennent de la Divine comédie de Dante (les personnages agissent comme guides vers l’Enfer). Les phrases courtes de leurs dialogues expriment un mélange d’humour et de gravité qui fait penser à celles d’En attendant Godot de Samuel Beckett.

« Béatrice : Ce chemin doit bien mener quelque part.

Virgile : Un endroit où nous voulons nous trouver?

Béatrice : Ça pourrait être une bonne nouvelle.

Virgile : Ça pourrait en être une mauvaise.

Béatrice : Qui sait?

Virgile : Ici, c’est sûr et plaisant.

Béatrice : Le danger pourrait s’approcher sans bruit.

Virgile : Il faudrait donc partir?

Béatrice : Il faudrait.

(Les deux restent immobiles)

Virgile : J’ai trois blagues.

Béatrice : Ce n’est pas le moment de raconter des plaisanteries.

Virgile : Elles sont bonnes, je t’assure.

Béatrice : Je ne peux plus. Ni rire ni même tenter de rire. De quoi que ce soit.

Virgile : Alors ces criminels nous ont vraiment tout volé. »

La presse est mitigée sur la pertinence d'une allégorie à propos de l'Holocauste. Certains critiques s’entendent pour dire que l’exercice est réussi, mais d’autres amoureux de littérature sont plus ou moins convaincus. C’est le cas pour la journaliste du New York Times, Michiko Kakutani, qui signe une critique particulièrement virulente à l’endroit du dernier livre de Yann Martel. Selon elle, l’auteur « banalise » l’Holocauste en l’abordant sous forme de fable.

Les différentes réactions montrent que l’Holocauste demeure un sujet sensible et qu’il est audacieux d’en avoir fait une fiction.

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Yann Martel est un écrivain canadien, connu pour Histoire de Pi, qui lui a valu le Man Booker Prize for Fiction en 2002. Francophone, il écrit en anglais.

Depuis 2007, Yann Martel poste à chaque quinzaine un livre accompagné d’une lettre explicative au Premier ministre Stephen Harper. Le dernier livre de ce projet, envoyé le 31 janvier 2011, est Incendies de Wajdi Mouawad. Toutes les lettres sont disponibles sur son site internet.

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