29.1.09

2. Porte-Folio

Je n'ai pas titré mes photos. Mais j'aurais peut-être du.

Je me sentais assez post-moderne (déformation universitaire) et l'ajout d'un titre à mes photos allait suggérer une suite dans mes idées. Or, j'ai pensé: à mort la linéarité et les conclusions fallacieuses qu'on puisse en tirer! Mon idée était plutôt qu'il y ait un contraste entre les différentes photographies. Qu'on les isole les unes des autres pour les considérer hors de tout ensemble. Comme si on regardait une pièce de casse-tête sans se soucier de l'image dont elle provient.

Il me fallait effacer le temps et l'espace. Évoquer l'hiver sans les saisons. Avoir les deux pieds dans les sables mouvants du présent et se dissocier du passé bétonné.
Devenir la Warhol de la photo.

Je n'ai pas titré mes photos. Mais j'aurais peut-être du finalement.

La veille de ma remise, j'ai décidé de les mettre en ordre chronologique et ça a tout bousillé mon projet postmoderne.

Je sais, c'est nul.

Je hais aussi la linéarité parce qu'on y revient toujours. C'est la dictatrice du chaos.

*

Il y a 31 photos dans mon porte-folio, mais le hasard m'impose constamment les mêmes lorsque je l'examine. Allez savoir pourquoi.

Freud aurait pu m'aider. Mais, oh, snif!, ce père de la psychanalyse est mort. Dommage. Je suppose que cela restera dans le domaine de l'énigme alors.


16 juillet

Photo d'un groupe de jeunes, jeans et tee-shirts noirs, sur le parvis de l'Église Sainte-Julie. Il fait un soleil éclatant mais il manque un rayon important: celui de l'amie, l'amante, la soeur, la Marie-Claude Forest que tout le monde pleure. La mère, seule à côté du groupe, essuie une larme, gantée de noir.

23 août

Sur les tuiles noires et blanches de ma cuisine, en vision micro, une souris. Sur ces tuiles sont placées des pièces d'échec avec pour roi une trappe. Du Rochefort comme appât n'était peut-être pas la meilleure idée: la souris s'est enfuie. Avec un cheval entre les incisives... en faisant des L jusqu'à sa cachette.

9 septembre

Prise de vue à partir du restau-lounge le Laïka sur Saint-Laurent. On ne voit pas l'autre côté de la rue: trop de camions, de poussière de roche, de pelles, de passants qui lèvent les mains, l'air de pèter une coche. En mouvement, à droite, un courrier à vélo tente de se frayer un chemin à travers des cols bleus, pas vraiment bleus d'ailleurs, mais plutôt oranges à cause des casques oranges et bruns à cause des chemises brunes. Contrairement au SA qui ont pris d'assaut l'Allemagne, nos cols bleus en chemises brunes se limitent à assaillir la...Main. Fiou.

19 septembre

Punta Cana, pina colada et "ayayaye, j'en ai trop bu par-là". Merde, je me demande vraiment pourquoi j'ai inséré celle-là dans mon porte-folio. Reste que les couleurs sont magnifiques. Bleu pour la mer, jaune pour l'ananas et rouge pour le coucher de soleil sur le visage de mon beau-frère.

23 septembre

Aéroport Dorval. Les valises lourdes se mêlent au ciel lourd lui aussi. La pigmentation des guichets et passerelles, restaurants et hôtesses, a disparu. Il n'y a le gris qui puisse s'imposer. Le gris uniforme du transit. Et, malgré les énormes horloges fixées aux murs, tout semble immobile. On a fait que suspendre le temps.

11 novembre

Photo à faire paraître dans les faits divers ou en première page (dépendamment si Charest fait une bourde ou pas): un ancien combattant de guerre gagne à la Lotto. Sous un décor de bleu et de blanc, à l'image de Loto-Québec, Bertrand Goulet exhibe son billet. Son rêve? Une chaise masseuse avec option latex, menottes et fouet. C'est pas parce qu'on est vieux et blessé qu'on peut pas être con.


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