25.1.09

1. Palpitations

Il est sept heures du matin et mes yeux sont semblables à ceux du chat botté de Shrek ou d'un junkie de la rue Frontenac. Énormes avec les pupilles qui prennent toute la place de l'iris. On pourrait dire que je n'ai pas dormi de la nuit, mais ce serait mentir puisque j'ai accumulé une belle heure de sommeil (composée en petits fragments de dix-quinze minutes)! De dire que je suis reposée et sereine serait également du baratin: mon inaptitude culinaire due au stress me donne une petite envie de dire caliss. J'ai brûlé mes oeufs, mon bacon est aussi croustillant qu'une barre de fer et mes patates goûtent le congélateur. Pas que je suis pessimiste mais j'ai une appréhension pour ce qui est de la suite des choses...

C'est qu'aujourd'hui j'attends un appel. J'ai passé une entrevue mardi dernier pour un poste de photographe au journal La Presse. Ouais, je n'ai pas étudié en art visuels pour rien. J'aime capter mon environnement à son insu. Photographier les failles. Saisir la vulnérabilité. Jouer avec les perspectives.

En plus, ce métier a des privilèges non négligeables. On nous installe toujours à l'avant. Dans l'ombre. Pour photographier pleurs, peurs, sourires et rires jaunes. L'exclusivité quoi. En prime, nous, photographes, sommes au fait que le rappeur Snoop Doggy Dog porte le parfum Adidas. Que Marie-Jo Thério boit de la St-Ambroise noire. Que le garde du corps de Fabienne Larouche est le même que celui de Marie Laberge. Que Gilles Duceppe fait de la rosacée et que Michèle Richard a une aversion pour ses fossettes.
Enlevant, vraiment.
Je ne sais plus si c'est tout à fait mon rêve de faire ce métier, mais c'est tout de même la curiosité qui m'a poussé à appliquer...
Mon porte-folio m'a pris des heures et plusieurs café-Chomedy à faire. Des nuits à trembler sous l'excès de la caféine et de l'alcool. Des nuits à me dire que la terre entière était de la grosse marde. Que mes photos ne voulaient rien dire. Qu'il n'y avait rien derrière qui puisse être du domaine de la béatitude ou du malheur. Qu'un gosse de 5 ans aurait pu faire mieux avec un Polaroïd, que ma grand-mère ou son chien auraient été meilleurs!

Ma routine n'était d'aucune originalité; elle consistait à bosser, dormir, manger, boire, procrastiner. Et l'ordre pouvaient varier en fonction des périodes de ma journée.

Dans ma chambre noire ou sur mon portable, je ne réussissais qu'à travailler la nuit; loin du raffut diurne. Le matin, je tentais de dormir un peu et ça me prenait l'après-midi complet pour me botter le cul. Je regardais par la fenêtre, essayais de m'imaginer le temps qu'il faisait en regardant le vent dans les arbres, la couleur du ciel, la démarche des passants. Puis, j'allais faire bouillir de l'eau dans une casserole. Face à la cuisinière, j'attendais que les petits bouillons émergent à la surface. Une fois bouillante, je versais cette eau dans une cafetière Bottom et j'attendais encore. On m'a dit 5 minutes à la brûlerie St-Denis. Alors 5 minutes à fixer les grains de café qui s'agglutinent ensemble. Et finalement pousser tranquillement la tige avant de verser ce nectar dans une vétuste tasse du Village des Valeurs.
Rose pâle avec des petites fleurs. Le Chomedy ou le Brandy accompagnait mon café plus tard, après 9 heures ou 10. Lorsque je voulais enfin mettre la main à la pâte, une envie de me faire un autre café me venait à l'esprit. Et je pouvais passer l'après-midi comme ça.
À attendre et à boire.

Arrivées les 6 heures, un vent de panique -sorte de déclic- me dominait soudainement. Fallait m'y mettre. J'entrais alors dans ma chambre noire avec mes écouteurs, au son progressif de Thom Yorke ou Richie Hawtin, espérant que les notes de musique me donneraient le coup de pouce nécessaire.

Mais souvent j'étais énervée: je déchirais mes photos, lançais mes négatifs sur les murs, donnais des coups de poing sur mon Mac. De ma bouche défilaient les « Bordel! » , « Cochonnerie! », « Rien ne marche! ». À ces moments, la seule solution était de me traîner jusqu'à la cuisine pour casser la croûte avec des huitres en conserve que j'écrasais sur un craquelin au fromage. Et bien sûr, je me faisais un autre café.

Une éternelle question me taraudait: pourquoi ne pas vouloir devenir cassière de dépanneur? Pourquoi vouloir retoucher si longtemps des images quand on peut seulement remettre de la monnaie à un client et le saluer machinalement? Ou je ne sais pas moi, eh, gardienne de parc la nuit? J'aurais pu regarder la lune et le soleil se lever! Vraiment, c'est à n'y rien comprendre que de désirer harmoniser les couleurs, ajuster les ombres et mettre en relief les petits détails d'une photo rien que pour faire beau. Beau pour qui à part de ça? Et photographe pour un média, c'est vraiment mon désir absolu? Merde, ça m'a pris quinze jours pour faire quelque chose qui ressemble à un porte-folio!

Et je n'ai pas eu assez de temps ou pas assez de talent pour faire mieux. La date limite pour les demandes d'emploi était vendredi passé et je l'ai remis le jour même, à 15h30, dans les mains de la réceptionniste-petite-craque-grosses-cuisses-. Je n'ai même pas pu aller fêter cette remise parce que j'étais aussi épuisée qu'un hamster qui vient de spinner la nuit dans sa roue.

Le lundi suivant, je me suis réveillée par l'appel d'Isabelle Beauchamp des ressources huamines pour une convocation à une entrevue le lendemain, soit mardi. Je ne pensais pas pouvoir me rendre à cet entretien. J'avais dormi toute la fin de semaine mais on aurait dit qu'il me fallait dormir six mois de plus. J'aurais voulu me transformer en ours. Attendre. Cachée dans la neige.

Je me suis tout de même présentée mardi. Jupe noire aux genoux, chandail molletonné bleu métallique jusqu'au cou et stress palpable si on me fixait les poignets. Arrivée dans le bureau, Mme Beauchamp et un autre homme qui prenait des notes pour elle, ont survolé mon porte-folio et m'ont expliqué le fonctionnement de la boîte après une visite guidée élaborée. Tout y est passé: la salle de nouvelles, les locaux de la technique, les studios d'enregistrement, etc. J'ai même pu visiter les toilettes du deuxième étage parce qu'il fallait que je me vomisse les tripes. Trop stressée.

J'ai terminé l'entrevue blême comme un fantôme et tremblante comme si je m'étais développé un Parkinson pendant notre rencontre. Mme Beauchamp m'a salué en élevant dans les airs mon porte-folio en guise de « je regarde ça attentivement et je te donne des nouvelles plus tard » puis son assistant m'a serré la main. Mon porte-folio doit être soumis au comité d'évaluation et ils me donneront des nouvelles vendredi, que ce soit positif ou négatif.

Nous sommes vendredi.

Tous mes symptômes d'entrevue sont revenus. Je ne tiens pas debout, je renverse du café partout.

Sept heures et demie maintenant.

Les bureaux ouvriront bientôt et ils m'appelleront que je le veuille ou non. Au secours. J'ai l'estomac, la rate, le foie, mes entrailles en entier dans la bouche! Et si je bois un autre café, je crois que je vais me liquéfier sur le plancher sans savoir si j'aurais eu le job ou non. Quelle perte. Ok, non. Je n'ai pas tout fait ça pour rien. Ok. Calme. On respire par le nez. Restons en vie. Ok. Pour la centième fois, je vais regarder mon porte-folio en me demandant bien si ça intéressera le comité d'évaluation.

Inspiration-Expiration.

Regarde ça d'un oeil extérieur. Déconnecte. Mets la switch de l'auto-critique à off. Fume un joint, tiens.

3 commentaires:

Arthur a dit…

Pas facile de gérer son stress, moi je trouve ça vraiment compliqué. La grosse crise de panique s'évite facilement mais le petit stress latent, ça par contre... Pour moi, c'est parfois comme si je ne me sentais pas stressé et puis il y a le petit indice: "oui t'es nerveux mon grand, tu pensais peut-être que non, mais oui tu l'es et ça va te nuire jusqu'à temps que ça passe"... En tout cas, ça me dérange pas mal lorsque je me sens dans l'engrenage, toi aussi je suppose.

Bonne chance pour tout ça, j'espère que ça a (ou ça va)bien été. Au plaisir de te savoir photographe professionnelle.

Nanie-Nana a dit…

Hum... ça m'étonne de toi mon cher Arthur, je te pensais maître de tes moyens! Haha. Bien heureuse que c'est un phénomène plus commun qu'on ne le pense...

Pour ma part, étrangement, quand je suis stressée, je deviens outrageusement relax. C'est peut-être le moyen que j'ai trouvé pour passer au travers!

p.s. je ne suis pas photographe pantoute mon chéri ;)

Arthur a dit…

Hé! Hé! Depuis ton post et ta photo "Halte capitaine", je m'étais mis dans la tête que tu avais un fort intérêt pour la photographie. De là à te voir comme photographe "professionnelle" il ne me semblait rester qu'un pas...