8.4.11

Irrévérence à l'Espace Libre

Quelque peu avant sa mort, Jean-Pierre Ronfard laisse un message sur le répondeur du Nouveau Théâtre Expérimental (NTE). « J’en ai marre d’être un gars correct, lance-t-il au bout du fil, notre démarche de théâtre expérimental doit aller plus loin ». En lui rendant hommage, les scénaristes et metteurs en scène, Evelyne de la Chenelière et Daniel Brière, de la nouvelle pièce du NTE, Ronfard nu devant son miroir, présentée jusqu’au 30 avril, n’ont pas oublié son message. Le résultat est prodigieux, saisissant, à l’image des désirs de cet illustre homme de théâtre.

En entrant au théâtre Espace Libre pour voir la pièce, deux choix s’offrent au spectateur. Il peut s’assoir sur une chaise ou sur un des coussins alignés au sol. Il n’y a pas d’estrade ni de scène. Les acteurs sont déjà là, prêts à accueillir le public. Ils saluent les spectateurs et prennent le temps d’échanger quelques mots avec eux. L’atmosphère est détendue, décontractée. Normal quand le quatrième mur tombe.

Le message laissé sur le répondeur par Jean-Pierre Ronfard est le fil conducteur de la pièce. Coupé et repris sans cesse, il est le moteur de toutes scènes. Composée en fragments, Ronfard nu devant son miroir, se détache de la linéarité du texte théâtral typique. Les quatre comédiens viennent et vont sur le plateau, poussant de faux cris de mort. Un véritable pied de nez à la théâtralité poussée à l’extrême.

Un chapiteau, hissé à la droite du plateau, avec une table de ping pong au centre fait office de décor. Une caméra installée à l’intérieur du chapiteau saisit les images qui sont retransmises en direct sur le mur du théâtre. Les acteurs, Isabelle Vincent, Daniel Parent, Julianna Herzberg et Claude Despins font des moues et se disputent le centre d’attention. Des slogans et des phrases sont aussi projetés sur le mur : « La caméra est au théâtre contemporain ce que le tutu est au ballet classique ». L’assistance et les acteurs rigolent de bon cœur.

Un peu plus loin, Julianna Herzberg interprète Winterreise Schubert. La mise en scène se veut cocasse; l’actrice chante dans une boîte de carton qui sert aussi d’instrument de musique à Daniel Parent. Mais en réalité, ce fragment est très touchant. Cette scène m’a eu! Je me suis surpris à verser des larmes  Les paroles chantées étaient traduites de l’allemand au français et retransmises sur le mur du théâtre.



La fin du spectacle est à l’image du reste de la pièce : surprenante! Deux danseurs se mêlent aux acteurs. Ceux-ci ont tous une tête de Jean-Pierre Ronfard en carton. Les danseurs, vêtus de blanc, enferment les acteurs dans le chapiteau avant d’offrir une performance hors du commun. Ils dansent oui, mais ils parlent, se relancent jusqu’à cracher leurs tripes sur scène. On aurait cru qu’ils incarnaient deux enfants sortis tout droit d’un roman de Réjean Ducharme. Grâce à cette pièce, une partie des désirs inassouvis de Jean-Pierre Ronfard ont été réalisés. L’irrévérence et l’expression soudaine des pulsions les plus enfouies ont totalement dominé le spectacle, au plus grand bonheur des amateurs de théâtre expérimental.

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