10.11.08

La cancrerie

"Chagrin d'école"

J'avais reçu ce bouquin à Noël l'an dernier. Ma tante Hélène m'avait dit que j'allais adorer. Je l'ai moi-même acheté à mon père pour la même occasion, lui disant qu'il allait surement aimer. On achète ce que l'on veut apparemment ;) Je l'ai placé dans ma bibliothèque, me disant que j'allais le lire plus tard, uste à côté des autres "pas encore lus". Il y a de ces livres que l'on ne doit pas, pour une raison ou une autre, lire tout de suite. À ce moment-là, j'étais plongé dans la psychanalyse jusqu'aux oreilles, Lacan et Kristeva occupaient mes pensées, j'étais un peu tourmentée. J'ai fait une quasi-cure psychanalytique à mesure ou j'analysais la place de la mère chez d'Alfonso (poète montréalo-italien fabuleux). Je n'invente rien: à lire sur les autres, et bien, on lit aussi sur soi. Puis vînt l'été, ou je n'eus guère le temps de me consacrer à des lectures puisque je travaillais comme une dingue et que, quand j'avais du temps, j'allais me dépenser dans quelques contrées éloignées à grimper des montagnes et à descendre des rivières. Il fallut attendre en octobre pour que finalement j'ouvre ce fameux "Chagrin d'école"... quelques jours après avoir retrouvé mes poèmes d'adolescence dans une boîte oubliée chez ma mère. Il était temps que je m'y plonge dans cette adolescence...
Vous avez peut-être déjà lu "La fée carabine" de la saga Malaussène, "Le dictateur et le hamac" ou encore l'essai "Comme un roman". Vous savez alors que Pennac a une imagination débridée, qu'il sait manier l'argot pour en faire de la vraie poésie et que c'est un excellent vulgarisateur. "Chagrin d'école" s'inscrit dans cette veine mais il est plutôt différent, plus senti, plus autobiographique. Dans ce bouquin, Pennac se met en scène et ouvre les vannes sur son passé de cancre. Il est maintenant professeur. L'ancien cancre comprend les difficultés éprouvées par les nouveaux cancres mieux que quiconque puisque les "je n'y arriverai jamais" ont aussi été ses paroles, et qu'il sait ce que c'est de vouloir tout abandonner. Il connaît la psychologie des "mauvais élèves" et il en parle. Professeur de français, il prend le langage en otage pour propulser ses élèves dans la logique. Pour qu'ils mettent en discours ce qu'ils ressentent. Pour que la lumière apparaisse. À ce sens, ce livre pourrait être un essai sur la pédogogie, sur l'instituion scolaire, mais c'est beaucoup plus que ça. Pennac raconte aussi le parcours scolaire par lequel tout gosse doit passer et qui le marquera pour des années. Il parle de son parcours, si difficile à traverser lorsqu'on est cancre. C'est bien là ou les premières blessures se forment et ou l'estime nous abandonne pour aller voir les premiers de classe...
Le quotidien de la cancrerie. Voilà sans doute ce qui m'a touché le plus puisque j'ai eu le même comportement que lui. Naima la cancre. J'en ai remis des copies blanches et fait de petits dessins en guise de réponse à la guerre 14-18!! Comme lui, j'ai pensé que je ne comprendrais jamais rien, que ça ne donnerait rien, que de toute manière, ça ne m'intéressait pas. On se convainc d'être cancre. J'ai aussi bossé pendant des heures afin de me rentrer des notions dans le crâne... pour si peu de résultats. La mémoire qui se barrait dès que j'avais une copie d'examen entre les mains. La démotivation. La résignation. Le recommencement. L'obstination. L'échec.
" - Tu prétendais détester les majuscules. Ah! Terribles sentinelles, les majuscules! Il me semblait qu'elles se dressaient entre les noms propres et moi pour m'en interdire la fréquentation. Tout mot frappé d'une majuscule était voué à l'oubli instantané: villes, fleuves, batailles, héros, traités, poètes, galaxies, théorèmes, interdits de mémoire pour cause de majuscule tétanisante. Halte là, s'exclamait la majuscule, on ne franchit pas la porte de ce nom, il est trop propre, on n'en est pas digne, on est un crétin!" (Pennac, Chagrin d'école)
Mais comme lui, j'ai été sauvé par certains professeurs. Je n'entrerai pas dans les détails mais pour la première fois, on m'estimait malgré les notes médiocres que ma mère tentait de cacher à mon père! Pour lui, ce fût ce professeur de français qui lui fît apprendre autrement en lui demandant d'écrire un roman, sans faute d'orthographe. Il exigeait des chapitres bien rédigés à des dates précises. Ce bon Pennac pris son pied à faire cet exercice alors qu'il avait toujours récolté des zéros en grammaire. Bel exemple de pédagogie. Beau détour pour faire apprendre la matière. Il parlera comme ça, de trois de ces professeurs qui l'ont pris par les trippes plutôt que par la tête.
C'est maintenant à son tour, en tant que prof, de regarder ces cancres dans les yeux et de les amener à voir autrement. "Chagrin d'école" recèle d'exemples à faire sourire et nous amène à revoir les professeurs que nous avons eu. Ce que j'ai fait. J'ai regardé mon petit nombril et je me suis demandé: pourquoi ont-ils échoué avec moi? Pourquoi ne se sont ils pas investis pour me sortir du marasme qui m'habitait alors que je n'avais même pas 20 ans? Parce qu'on ne peut pas rescaper tout les cancres? Parce que ce ne sont pas tout les profs qui sont doués pour cela non plus?, pas tout les profs qui se donnent ce mandat? Ont-ils tort de ne pas le faire? Quel est le rôle des profs, des parents, de l'élève, de l'état? On remet la faute à qui lorsqu'on fait face à un cancre? Pourquoi se la refile-t-on? Et, est-ce que, vraiment, faute il y a? Voilà bien des questions qui sont évoquées dans "Chagrin d'école". Sans offrir de réponses exactes, Pennac a mis ces problématiques sur la table des négos si je peux m'exprimer ainsi
Alors voilà, ce roman se mange en quelques heures, quelques jours si on a moins de temps.
"Chagrin d'école" c'est franchement un bel ode à l'apprentissage et à la curiosité.
Chapeau Pennac, tu mérites ton prix Renaudault!
Allez, je vous file aussi l'adresse url de "chagrin d'école" parce que le site est joli et bien fait: http://www.gallimard.fr/pennac-chagrindecole

3 commentaires:

Alexie M a dit…

Qu'on règle le problèmes des cancres, en plus ça aidera aussi la cause des rejets.

Arthur a dit…

Hum... Ça me semble intéressant, après tout, il y a toujours un cancre en puissance au sein de chacun d'entre nous (ben... En moi en tout cas).

Ça fait bizarre d'y penser... On se dirait: "Non, pas Pennac! Pas lui! Lui ça devait être une bolle, une tronche, pas un cancre". Ben non, lui aussi.

En tout cas, toi t'écris pas comme une cancre ma petite Nana, je trouve même que tu te débrouilles plutôt bien, bon travail!

Nanie-Nana a dit…

Hey hey Al, ma petite nerd! J'accepte la coalition. Unissons-nous!

Et Arthur, merci pour les comments, je ne connaissais pas ton côté cancre! À vrai dire, je n'y crois pas du tout, mouhehehehe.